Anatomie fonctionnelle du pied.
1. Introduction.
En station debout, l'être humain repose sur les deux pieds. Pendant la marche, un seul pied sert de support; l'autre se déplace vers l'avant. Le pied d'appui assume les exigences difficilement conciliables de supporter la charge corporelle et d’accomplir les mouvements nécessaires à la progression. Depuis longtemps, les architectes confient à la voûte le support de charges élevées. La forme du pied évoque ce type de construction. Cependant, la voûte est figée, indéformable… alors que la marche impose la souplesse, l'adaptation au sol. L'idéal serait une voûte robuste mais déformable. Impossible ? Voire…
2. La voûte plantaire.
Le pied est une voûte composite à géométrie variable. Composite car elle fait appel à deux matériaux complémentaires: les os et les ligaments. A géométrie variable, car leur agencement judicieux permet certains mouvements qui adaptent la forme de la voûte à l'amortissement puis à la propulsion. La voûte plantaire a un point d'appui postérieur: le talon, dont l'inclinaison latérale peut varier, en varus ou en valgus. Elle a plusieurs points d'appuis antérieurs: les têtes métatarsiennes et les orteils dont la hauteur relative, et donc l'appui, varie aussi.
2.1. La voûte statique.
L'os, tissu vivant extrêmement compact, est à même de supporter des forces de compression élevées sans modifier sa structure. Les ligaments sont, à l'inverse, très déformables mais résistent efficacement à la traction. En station debout, la charge corporelle (P) s'exerce sur le sommet de la voûte et tend à l'effondrer (Fig.1). L'astragale répartit la charge vers le talon et l'avant-pied, créant des forces de compression (C) supportées par les os qui forment le versant supérieur de la voûte. Les ligaments, concentrés sur le versant plantaire du pied, sont ainsi mis en tension (T) et empêchent l'écroulement, à la manière de la corde d'un arc. La combinaison des deux tissus assure ainsi la stabilité de la voûte et le maintien d'une certaine déformabilité.
2.2. La voûte dynamique.
La combinaison d'os et de ligaments permet de placer des articulations en différents points de la voûte et d'assurer une mobilité plus grande. Ces articulations, essentiellement l'entité sous-astragalienne et l'interligne de Lisfranc, permettent certains mouvements et en interdisent d'autres. Elles augmentent la déformabilité, l'adaptabilité de la voûte sans altérer sa stabilité.
L'entité sous-astragalienne comprend les articulations sous-astragaliennes antérieure et postérieure et les articulations de l'interligne de Chopart (astragalo-scaphoïdienne et calcanéo-cuboïdienne). Distinctes sur le plan anatomique, elles réalisent en synergie les mouvement de supination et pronation. Sur un sujet couché, la supination oriente la plante du pied vers l'intérieur; la pronation l'oriente vers le dehors. En station debout, la supination porte le talon en varus et la jambe en rotation externe; elle creuse la voûte et la rigidifie. La pronation porte le talon en valgus et la jambe en rotation interne; elle diminue la hauteur de la voûte et la rend mobile, déformable. Ces deux mouvements se succèdent au cours de la marche. Lors de la prise d'appui, la pronation permet l'amortissement et l'adaptation du pied au sol. La supination transforme ensuite ce pied en un levier rigide qui assure la propulsion. Le mouvement d'inversion associe à la supination de l'arrière-pied une flexion plantaire de la cheville. A l'opposé, l'éversion associe pronation et flexion dorsale de la tibio-tarsienne.
L'interligne de Lisfranc (articulations tarso-métatarsiennes) permet de modifier l'orientation des métatarsiens et de moduler l'appui de leur têtes au sol. Le premier métatarsien est le plus mobile. Si la première tête métatarsienne descend, la voûte se creuse, si elle remonte la voûte s'affaisse.
Ces mouvements sont bien entendus commandés par des muscles :
· inversion : triceps sural, jambier postérieur, fléchisseurs des orteils;
· éversion : péroniers latéraux, extenseurs des orteils;
· ascension du premier métatarsien : jambier antérieur;
· descente du premier métatarsien: long péronier latéral.
3. Le support de la charge.
En station debout, la charge corporelle repose sur les deux pieds. Ceux-ci offrent une surface d'appui appréciable. Les pressions plantaires (rapport entre le poids et la surface) sont peu élevées (5 à 15 Newton/cm2). Au cours de la marche par contre la surface portante se réduit parfois à un seul pied ou même un seul avant-pied. En même temps des effets dynamiques majorent la charge à supporter. Les pressions augmentent considérablement (30 à 50 Newton/cm2). L'appui des orteils, en particulier le premier, s'avère essentiel pour conserver une zone d'appui suffisante (Fig. 2).
A défaut, les pressions plantaires peuvent atteindre ou même dépasser le seuil de tolérance de la peau et des tissus sous-jacents. Apparaissent alors des remaniements adaptatifs (durillons), des douleurs (métatarsalgies) et même des lésions (ulcères, mal perforant). L'apparition de ces derniers est favorisée par le ralentissement de la marche car la charge s'exerce plus longtemps ou par la suppression du signal d'alarme qu'est la douleur dans certaines neuropathies comme le diabète, la lèpre. Cette relation entre la charge, sa durée d'application et la surface portante conditionne l'essentiel de la pathologie du pied. L'atteinte neurologique du diabète s'accompagne d'une diminution, voire une disparition, de l'appui des orteils et d'une surcharge des têtes métatarsiennes. Les ulcères apparaissent là où les pressions sont les plus élevées. La mesure de celles-ci pendant la marche est actuellement possible. Elle permet de localiser les zones à risques avant l'apparition des lésions d’où son intérêt dans la prévention des complications du pied diabétique (Fig.3).
4. La marche.
La marche permet au sujet debout de se déplacer par un mouvement cyclique des deux membres inférieurs, l'un servant d'appui pendant que l'autre oscille vers l'avant. La position haute du centre de gravité qui se évolue dans l'espace par rapport à un seul point fixe exige un contrôle neurologique et moteur sophistiqué. La marche se distingue de la course par l'appui constant d'au moins un pied au sol. Elle répète inlassablement une succession d'événements dont l'enchaînement constitue le cycle de marche. Le cycle est l'intervalle de temps qui sépare deux attitudes identiques du sujet observé. Ses principales caractéristiques figurent dans le Tableau I. Il alterne des phases de double appui (deux pieds au sol) et d’appui monopodique (un seul pied en charge). Si l'on observe un seul pied, le cycle aligne une phase d'appui et une phase oscillante. Pendant la première, qui débute par le choc du talon et se termine par le décollement des orteils (0 à 62 %), le pied supporte le corps. Pendant la seconde, il se déplace vers l'avant (de 62 à 100 % , soit 38 % du cycle).
Les mouvements coordonnés des grandes articulations des membres inférieurs (hanche, genou, cheville) rythmés par l’activité phasique des muscles amortissent les déplacement du centre de gravité. La trajectoire de celui-ci est une sinusoïde harmonieuse. Les déplacements verticaux et latéraux sont très progressifs et de faible amplitude économisant ainsi l'énergie. Notons que la hauteur du sujet qui marche est moindre que sa taille au repos. La marche commence donc par une chute. L'énergie potentielle liée à la position haute du centre de gravité (dans le bassin, à 1 mètre du sol environ) est ainsi transformée à peu de frais en énergie cinétique. L'apport énergétique ultérieurement nécessaire reste très modeste (64 calories par minute et par kilo à la vitesse usuelle de 80 mètres/minute). Le rendement de la marche (rapport entre la dépense énergétique et la distance parcourue) est ainsi très intéressant.
Toute altération de l'enchaînement des séquences de la marche est une boiterie et accroît le coût en énergie. La consommation d'oxygène augmente, le rythme cardiaque s'accélère, le rendement diminue … parfois à un point tel que le sujet renonce à ce mode de locomotion devenu trop exigeant.
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